AUGUSTE GEORGET L’ERMITE DE SANS
SOUCI
Dans le dernier tiers du siècle dernier,
Châtel-Guyon reçois un ermite – un ermite laïc – Auguste Georget, qui va
parrainer, en quelque sorte, un des sites les plus pittoresques, les plus
aimés du pays (Maupassant).
Ses traces, déjà incertaines et floues à
l’époque, tendent à s’effacer chaque jour davantage de la mémoire collective.
Aussi ai-je pensé vous présenter quelques souvenirs de sa vie, glanés
çà-et-là, comme on apporte un bouquet d’asphodèles à un ami disparu.
Après les jours sombres de la Guerre de
1870, mais ce n’est qu’une rumeur, arrive à Châtel un homme d’une soixantaine
d’années. Auguste Georget. D’où vient-il ? de Clermont, semble-t-il,
où il serait né vers 1812, mais les fichiers de cette période ne citent
qu’un Georget, prénommé Antoine.
Quelles sont les raisons de ce refuge
dans ce coin perdu d’Auvergne ? Est-ce un grand chagrin ou une grande
passion meurtrie, il est veuf… Des querelles de famille ? Des
difficultés matérielles ? C’est un ancien professeur…on le sait, mais
personne ne note où il a enseigné ; des convictions morales et finalement
contraignantes ? S’il possède des classiques anciens, tel Virgile, il
étudie aussi les philosophies de Marc-Aurèle, Epictète, Spinosa, Leibnitz.
Ainsi, inspiré par l’esprit du XVII° et une philosophie des Lumières un peu
pessimiste, il souligne les joies instables et vaines du monde et les
vertus de la nature. Est-ce esprit de renoncement et de douloureuse pitié
pour les tribulations de la vie des hommes ?
Comme beaucoup de Français, il ressent
l’amertume de la défaite et songe à la revanche : il faut donc
enseigner le tir et fonde un stand d’entrainement, là où, dit-on, se trouve
l’hôtel du Belvédère. Mais cette activité martiale et patriotique, peu
lucrative par ailleurs, ne convient ni à ses convictions morales ni à son
besoin de sérénité.
Aussi émule de Rousseau, cherche-t-il
dans la nature, comme Lamartine, l’asile simple et isolé pour attendre la
mort. Il le découvre, un jour, en remontant le vallon où court le ruisseau
de Romeuf – connu en aval sous le nom de Sardon - : sur sa droite, là
où un sentier à travers les sapins s’engage de plus en plus dans une vallée
profonde et ombragée où coule un ruisseau ; vers le sommet, en un coin
sauvage et désert, parmi les broussailles, jaillit une de cette eau
minérale un peu tiède, aimablement gazeuse et pétillante qui fait la
fortune de Châtel-Guyon. Vendue, elle peut permettre de vivre libre et loin
du monde : c’est là, donc, que Georget décide de demeurer.
L’achat du terrain, réalisé le 3 juin
1878 notre Georget peut enfin, se retirer du monde, comme il le souhaite.
Chaque jour, par beau temps, il
transporte avec son âne, au bord de la grand’route de Manzat, des
bouteilles d’eau minérales qu’il propose aux « buveurs d’eau » de
la région à un prix plus modique – c’est probable – que celui de la Société
des Eaux de Châtel-Guyon, récemment créée.
Entre-temps, avec patience, sans aide,
par un effort continu, en ce lieu escarpé, d’accès difficile, il bâtit un
simple have, une fragile masure vraiment, qu’en mémoire de Voltaire et
comme son disciple, le roi Frédéric II de Prusse pour Potsdam, il nomme
avec un certain défi moqueur, son Château de Sans-Souci.
Les habitants, étonnés, émus même par
cette vie étrange presque déraisonnable pour eux, parlent bientôt de leur
ermite certains disent anachorète, mot plus rugueux, plus sévère avec
ironie, parfois, mais le plus souvent avec sympathie, estime et respect.
En moins d’un an malgré les difficultés,
avec des matériaux de fortune et très divers, l’ermitage est élevé et
forme, selon un témoin, une pittoresque demeure.
Mais voici qu’un ouragan s’abat sur le
pays et cause de nombreux dégâts, et l’ermitage souffre : toutes ses
constructions ont été bouleversées, rapporte le Riom journal, et la toiture
du « château » a été emportée tout entière par le vent. Rien
d’extraordinaire, car sa solidité n’était pas proverbiale ; mais ce
qui paraîtra plus étonnant, c’est que cette toiture n’a pas pu être
retrouvée ni en tout ni en partie, malgré deux jours de recherches dans les
environs. Récompense honnête à qui la rapportera au propriétaire.
Quelle pauvre et sinistre moquerie de
trouver « une note gaie » dans ce sinistre accident !
Mais Georget ne cède pas à l’adversité et
rebâtit son refuge et, bientôt, rendre visite à l’ermitage devient, pour
les brayauds comme pour les baigneurs, un conseil pour une promenade des
plus agréables, et le nom de Sans Souci, donné au vallon et à son ruisseau,
apparaît désormais comme officiel.
En témoigne un curiste célèbre, Guy de
Maupassant, dans son roman sur notre station, Mont Oriol, paru dans le Gil
Blas en décembre 1886 et en librairie en février 1887. Les cinq jeunes
gens, héros de la trame amoureuse « aimaient surtout un petit vallon
sauvage auprès de Châtel-Guyon, conduisant à l’ermitage de Sans-Souci.
D’ailleurs, l’un d’eux dit à la duègne
qui est sensée les surveiller : … « Pourquoi n’allez-vous
jamais vous promener avec ces demoiselles sur la route de Sans-Souci ?
«
Le lendemain … « ils se
levèrent et partirent tout doucement, par la grand’route; puis ayant
traversé la Roche-Pradière, ils tournèrent à gauche et descendirent dans le
vallon boisé à travers les buissons emmêlés. Quand ils eurent passé la
petite rivière, ils s’assirent au bord du sentier, pour attendre ».
Les descriptions est aussi exacte que celle d’un guide !
Et l’attrait de cette promenade pour
l’écrivain éclate dans une lettre à sa mère : il y relate la visite de
son père, qui est reparti « sans même avoir vu la vallée de
Sans-Souci ». Maupassant a-t-il rencontré l’ermite ? C’est très
probable, mais par son refus de toute confidence, de toute trace
littéraire, il n’a laissé ni indication ni allusion. Toutefois, comment ne
pas évoquer le conte « L’ermite », paru en janvier 1886 donc
entre ces deux dernières saisons ? L’exemple de Georget ne lui
aurait-il pas suggéré l’idée, voire le thème, d’un drame - l’inceste –
transposé dans un cadre provençal de convenance ?
En témoigne surtout F.Ribeyre dans son
« guide du baigneur » publié fin 1884. Parmi les
« promenades à pied », il propose « la vallée de
Sans-Souci », dont il signale les divers agréments du parcours et
écrit-il : après « la cascade de l’Ecureuil », on arrive en
un peu de temps à « l’Hermitage de Sans-Sans », habité par
Georget, excellent homme… qui, ajoute-t-il, a perdu son titre d’anachorète
depuis qu’il s’est remis en rapport avec la société par les nécessités de
l’exploitation de la source d’eau minérale de Sans-Souci, captée dans son
jardin. Quel rigorisme ! Comment mettre au pilori – ou presque – un
être retiré du monde parce qu’il rentre en contact – très brièvement
– avec les rares passants pour leur vendre quelques bouteilles d’eau,
maigre argent pour assurer sa survie, sans mendicité, en dignité ?
A ce même texte, publié dans le Châtel-Guyon
Journal en 1894, un lecteur répond par un « Portrait
de l’ermite » : « Georget … a, je ne dirai pas
défriché, mais aménagé un cours de ravin. Travaillant là, dans le roc,
comblant le cours, dégageant cette source, bâtissant ici une maisonnette,
cet homme a tout fait seul, et si l’on est amené à s’émerveiller de la
somme de travail individuel dépensé par ce lutteur énergique, on ne tarde
pas à reconnaître combien est puissant l’être isolé.
Au cours de ses travaux, notre ermite
découvre une source encroûtée dans d’épaisses concrétions calcaires :
c’est source pétrifiante ! Pourquoi ne pas l’utiliser comme on fait à
Gimeaux ? les incrustations, par de l’aragonite cristallisée et
brillante… donnent lieu à un commerce important à Davayat – des objets les
plus délicats…quelques-uns sont de véritables bijoux.
L’ermite s’adonne à cette nouvelle
activité avec passion et succès : « il me montra, se souvient
l’écrivain Aimel en visite vers 1900, de fort curieuses choses obtenues par
la pétrification : des empreintes de médailles, des tableautins à
l’aspect ivoirin, des rameaux d’arbres, des figurines. »
« Sa maison d’habitation se
comportait de deux petites pièces succinctement meublées du nécessaire. Un
peu plus loin c’était l’écurie de l’âne qu’il utilisait pour aller chercher
de temps en temps des provisions au plus proche village. Un troisième corps
de bâtiment constituait son musée et sa bibliothèque. A côté des classiques
anciens et des quelques philosophes « qui suffisaient à la béatitude
de sa vie intérieure », cette pièce renfermait « pétrifications,
pierres rares, vieille monnaie, etc. Pendant la saison des bains, il la
fait visiter, moyennant la somme de un franc. »
Georges Aimel écrit encore :… « il me parla un peu de
sa vie. Quand il s’est retiré du monde,… il était encore un homme dans la
force de l’âge. Il se trouvait pleinement heureux ainsi. Il faisait
du jardinage, confectionnait des bibelots, grâce à sa fontaine pétrifiante,
lisait un peu, surtout en hiver ».
Georget disait enfin : « Je ne m’ennuie jamais
dans ma solitude. C’est ici que j’ai voulu vivre sans autre horizon que
celui de ces montagnes que l’hiver couvre de neige et le printemps de
verdure. J’aimerai à y mourir en paix. ».
Il y meurt dans sa cabane couverte de
neige, le 4 février 1902, ainsi est exaucé le vœu de « ce vieillard
qui vivait absolument seul dans ce lieu sauvage et désert, l’Hermitage
de sans-Souci ».
A la saison thermale, Georges Aimel
retourne visiter « ces lieux où s’étaient passées dans le calme d’une
vie agreste et solitaire cinquante années de la vie d’un homme. Sa maison,
dont des inconnus avaient enlevé les fenêtres, les portes et les meubles,
tombait peu à peu en ruine. Son musée était saccagé. Des livres déchirés
couvraient le sol. Mais tout autour, silencieuse et belle, c’était
l’incessante vie de la nature que traversait, à peine perceptible, le bruit
des trois sources et du Romeuf tout proche grossi par des pluies
récentes ». L’année suivante, « presque toute trace d’une
habitation humaine avait disparu. La vigne-vierge, les vignes sauvages, les
chèvrefeuilles, les arbres croissants et les hautes herbes couvraient
tout ».
Le temps, l’abandon, les hommes
poursuivent, sans frein, la ruine de l’ermitage et en 1976, Marcel
Morge, maire de Saint-Hippolyte, ne retrouve « pas
grand’chose de cette demeure, si ce n’est qu’un pan de mur et une eau au
pouvoir pétrifiant, qui se mélange aux eaux du Romeuf, où pullulent des
truites et des écrevisses ».
Si le souvenir de Georget, l’ermite, est
parfois encore évoqué, et en termes très vagues !, rares sont ceux qui
associent le nom de Sans-Souci à celui de « l’honnête Georget ».
Ces lignes tentent donc d’en garder la mémoire.
..............................................................................................Châtel-Guyon, 8 janvier 1994
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Robert A. Accart médecin thermal à Châtel-Guyon
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